Printemps 89 au CFHN. Le centre a ouvert désormais depuis plus d'un an à St Auban, et loin du seul Marianne des débuts, il commence à être équipé de biplaces intéressants. Outre deux ASH25, les seuls réellement disponibles en France pour les vélivoles qui souhaitent essayer, nous venons de recevoir un Janus CM flambant neuf.
C'est une toute nouvelle version du Janus motorisé, avec selon son importateur une nouvelle avionique conçue par un des fournisseurs d'Airbus. Ça fait sérieux !Enthousiasmés dans un premier temps par les performances et les ressources de la bête, nous commençons tout de même à avoir quelques doutes à son sujet.
Un jour de février, alors que nous sommes avec Charles Pouillard, du club d'Arbois, en montée au moteur, un bruit horrible se fait soudain entendre, couvrant la radio. Les instruments moteurs sont devenus fous ! Aussi comme nous sommes à 2000m dans le Jabron, nous décidons de couper le moteur. Mais alors ce dernier refuse de rentrer dans son logement. Pour ceux qui n'ont que de vagues notions, autant l'apport d'un moteur donne au planeur pur de sacrés performances, autant la présence au-dessus de l'appareil de cette protubérance devenue inerte n'apporte que des soucis : sa prise au vent est telle qu'on se retrouve aussitôt à piloter une espèce de navette spatiale à la finesse catastrophique, à la place d'un fin planeur. Le temps de faire les tentatives d'escamotage de notre gros aérofrein qui ne veut décidément ni rentrer ni redémarrer, nous ne sommes plus qu'à 1900m et nous prenons le cap sur l'aérodrome pour tenter de rentrer. C'est largement plus qu'il ne faut en temps normal. Mais pas là ! Malgré le taux de chute qui oscille entre -3 et -4m/s, nous décidons de faire comme avec un Janus mouillé, surtout ne pas accélérer. Aussi le temps passe bien lentement, à regarder la forêt de Lure se rapprocher trop vite sous nos ailes, et le Rocher St Jean devant nous ne pas se rapprocher suffisamment vite pour sa part. On aimerait bien, car on sait que l'aérodrome se situe juste après, côté Sud. Décision est prise de tenter les champs au Nord de cette petite colline si le retour au terrain s'avère impossible. Mais finalement nous passons travers le rocher à 1000m, et nous posons ensuite sans problème.
Comme l'importateur est sur le terrain, il se penche sur le problème aussitôt que nous sommes posés, et décèle qu'un court-circuit a du être à l'origine de nos soucis. On arrive finalement à rentrer le moteur au sol, en se servant d'une batterie auxiliaire.
Quelques jours après, alors qu'avec la batterie bien rechargée tout semblait être revenu en place, deux de mes collègues cadres de la FFVV, après formation sur ce Janus CM, sont envoyés pour un vol en mutuel sur l'engin. Paf, rebelote !
Mais là, alors qu'ils sont en montée au moteur, le grand bruit est d'une autre nature : sans qu'on ne lui ait rien demandé, le moteur et son pylône sont en train de rentrer tout seuls dans leur logement. Évidemment, branché sur ceux-ci il y a aussi une hélice tournant à plusieurs milliers de tours par minute, et qui est en train de se transformer en rotor d'hélicoptère vu que le moteur est en train de se coucher à l'horizontale.
En fait le bruit qu'ils entendent est celui de l'hélice en train d'entailler les trappes du moteur. Heureusement cette résistance inattendue fait très vite caler le moteur, qui accepte de ne pas continuer son travail de sape jusqu'à entamer le fuselage et s'immobilise dans une position bien étrange.
Nos deux pilotes ne se font pas prier, et rentrent eux-aussi fissa au terrain.
Là ça commence à faire beaucoup, et le bloc de commandes électroniques est renvoyé chez le constructeur pour analyse. Il s'avérera que le problème se site sur une des prises principales, retenue en position branchée par deux sauterelles latérales. Une des deux fixations a été montée à l'envers, et ne remplit pas sa fonction. Quand le moteur tourne, les vibrations du moteur 2-temps font que la prise mâle et la prise femelle s'écartent un peu, chacune de son côté, en produisant au bout d'un moment ces pannes.
En mars le planeur est à nouveau utilisable, prises modifiées, hélice et trappes de moteur remplacées. Mais notre confiance dans le système a elle-aussi pris un coup.
Le 8, je pars avec Luc Bocciarelli, de Pont-St-Vincent, qui est en stage chez nous depuis le début de la semaine. Par une situation classique d'onde de Mistral, ou tout du moins de sous-ondulatoire, nous remontons la Vallée de la Durance par les petits massifs situés à l'Ouest. Le vent est fort, mais nous arrivons tout de même au But de St Genix à 1700m, presque sous un nuage de rotor. Comme on n'est jamais sûr du coup en montagne, et ne serait-ce qu'à titre pédagogique, nous calculons la hauteur qu'il nous faut pour garder le local de l'aérodrome de Susteron-Vaumeilh: 1350m. C'est royal, nous avons de la marge, d'autant plus que nous aurions alors le vent arrière pour dégager. Nous avançons donc vers notre rotor...
Et soudain, c'est le grand vide. Nous passons en une espèce d'apesanteur. Tout de met à chuter, le planeur et sa vitesse. Mais en piquant la vitesse ne s'améliore qu'à peine et le planeur chute encore plus. Nous sommes pris dans un ascenseur en mode « descente ». Un descenseur, quoi ! En fait nous sommes en train de nous faire « savoyarder » comme on le dit dans les Alpes du Nord, pris au piège de la cataracte d'air froid qui descend sous le vent de la montagne. L'indication du variomètre est inutilisable, tout est en butée en négatif.
Péniblement, tout en gardant le nez du planeur vers le bas, nous amorçons un demi-tour. Arrivés face à Vaumeuilh, nous nous rendons vite compte que c'est sans issue, des tas de petites collines insignifiantes, que l'on ignore hautainement d'ordinaire, viennent de surgir dans notre champ visuel, entre nous et notre aérodrome de
dégagement. La décision est vite prise, il ne faut plus avancer dans cette direction, mais plutôt se poser là-dessous, dans les champs de Laragne sur lesquels nous gardons un œil depuis le début de cette descente aux enfers. Nous nous mettons immédiatement en étape de base sur ces champs, en survolant un tout petit relief. De ce fait, l'
espace d'un instant, le vario semble devenir un peu moins négatif, nous laissant imaginer que, peut-être, nous pourrions sortir le moteur. Nous commençons la manip, mais en réalisant que cette plage de moind
re chute descend quand même à moins 5m/s, le meilleur taux de montée au moteur de 3m/s de l'appareil ne nous sera de toutes manières d'aucun secours. Nous finissons donc de nous jeter dans notre champ, avec un furieux badin indiqué et malgré tout une impression visuelle de quasi-immobilité.
Ouf ! Les morceaux sont entiers !
Pour laisser le temps à l'adrénaline de s'évacuer, Luc s'amuse pendant un moment à garder le planeur en ligne de vol au sol, comme on le fait quelquefois avec les légers planeurs bois-et-toile. C'est vrai qu'il est amusant de pouvoir le faire avec un plastique, ce n'est pas tous les jours qu'on peut se le permettre. Mais bon, il va bien falloir sortir de là, ne serait-ce que pour aller téléphoner afin qu'on vienne nous chercher avec une remorque.
Alors, pour nous extraire de l'appareil, nous redoublons de prudence, l'un après l'autre, en assurant la verrière et en bloquant les aérofreins ouverts.
Le dépannage avec ce vent sera encore une autre paire de manches !
Mais ça reste une jolie vache... en planeur motorisé !
JNV, décembre 2011