samedi 1 octobre 2011

Voler c'est un jeu d'enfant


Il s'appelait F-BCBQ, c'était un Morane-Saulnier 317. Dans le temps, il y a bien longtemps, c'était même un MS-315, mais un grand chantier de remotorisation de ces appareils ayant été lancé dans les années 1960 pour en faire des remorqueurs « modernes », il était passé de « 15 » à « 17 » en changeant de moteur, en gagnant une roulette de queue et en échangeant ses anciennes roues à rayons contre de plus récentes équipées de freins.
Bon, on est d'accord, d'apparence il ne faisait malgré tout pas trop moderne. Digne héritier de la lignée des avions « parasols » de chez Morane, il en avait gardé l'aile surplombante et le look des années 30. Mais à mes yeux, c'est aussi ce qui en faisait le charme.




Le F-BCBQ à Tours, avant sa carrière savoyarde Photo empruntée à Didier Lecoq et à son site: http://aeroplanedetouraine.fr/photos/aect_annes_quarante/ (en attendant d'en retrouver une photo à Challes)

La Fédération Française de Vol à Voile, qui en était propriétaire, l'avait affecté au club d'Annecy. Mais au tout début des années 70, lorsqu'il a été question d'un imminent et inéluctable (!) développement commercial de l'aérodrome d'Annecy-Meythet, il avait été rapatrié à Challes-les-Eaux avec le reste du matériel, et bien sûr les pilotes. En 1972, du regroupement de feue cette section avec celle de l'Aéro-Club de Savoie qui volait déjà à Challes, naîtra le CSVVA, Centre Savoyard de Vol à Voile Alpin.


Tel le petit cheval blanc de Brassens, le petit Morane gris avait bien du courage, et remorquait vaillamment tout ce qu'on voulait bien lui attacher à l'étambot. En général un planeur, mais parfois deux ou trois pour un remorqué double ou triple. Tous derrière, tous derrière et lui devant. Un de ses pilotes attitrés était Pierre Ledeist, ancien navigateur sur Sunderland en Angleterre pendant la seconde guerre mondiale. Le pilote allait donc bien avec la monture.

A vrai dire, il n’y avait pas un MS-317 à Challes aux alentours des années 1972-74, mais deux ! Bon, le second n’en était plus qu’une relique, vaguement stockée dans un hangar ouvert à tous les vents, alors situé au Nord des hangars du vol à voile. Ce hangar, poétiquement appelé « ombrelle » par les vélivoles locaux, sera par la suite démonté pour laisser la place au chantier d'installation du 13e BCA, et transformé en vestiaires pour le stade de foot de Barby, la commune voisine. Tandis que le BCBQ accomplissait sa mission de cheval de trait, ce qui restait du second croupissait ainsi à l’abri de quelques tôles à quelques dizaines de mètres de là.

L'avantage d'un hangar ouvert à tous les vents, et M.de La Palisse
pourra vous le confirmer, c'est qu'il n'est en principe pas fermé. Ça n'avait pas échappé aux jeunes aéromodélistes que nous étions.
Ces modélistes qui venaient occuper à la sauvette le virage du taxiway pour y faire décoller des avions de vol circulaire, au grand dam du chef-pilote du vol à voile de l'époque, Alain Carré, qui venait parfois faire dégager tout cela d'un grand coup de gueule. Ah, admirable époque des moniteurs aux voix tonitruantes, qui effrayaient les apprentis-pilotes comme on le ferait d'une volée de moineaux, mais qui se révélaient très humains lorsqu'on avait réussi à franchir les barrières de ce genre d'accueil.

Dans son abri de fortune, nous avions bien remarqué le vieil avion, qui ressemblait tellement aux maquettes en plastique que nous assemblions. Nous avions aussi noté que, au cœur d'un bel après-midi, tout le monde était tellement occupé en piste que personne ne prêtait attention à ce qui pouvait bien se passer sous l’ombrelle. Alors, contournant le terrain pour arriver discrètement par la route de Barby avec nos vélos, nous nous glissions sous les auvents. Après avoir bien surveillé que personne ne venait par ici, nous montions dans l'habitacle mon copain Denis et moi. Assis là, dans cette odeur prenante de cuir et de vieux métal, nous posions les pieds sur les palonniers et empoignions le gros manche à pleine main, nous abaissions et remontions les différents interrupteurs, puis nous balancions les commandes en revivant les scènes du « Grand Cirque » de Pierre Clostermann...

« Attention Denis, douze Allemands au-dessus, five-o-clock ! »
« Break ! »
En voilà un dans mon collimateur. !
Et la correction ? Pas assez...
« J'en ai eu un ! »

Ensuite, toujours morts de trouille de nous faire surprendre à monter dans cette trapanelle sans autorisation, nous finissions par en descendre pour nous sauver avec nos vélos et revivre des heures durant notre « Petit Cirque ».

Peu après le F-BCBQ cessa lui-aussi de remorquer. Le vieux Morane avait été détrôné par les fougueux (si, si!) et (alors) tout récents Rallye Commodore de la même maison, ses petits enfants en quelque sorte. Des appareils plus récents, certes, mais surtout plus économiques d’utilisation. Du coup, en 1976, l'ancêtre fut arrêté de vol et fut stocké à son tour au fond des hangars, un peu mieux protégé tout de même que l’épave de son cousin.

Et un an plus tard, ça y est, Denis et moi sommes devenus à notre tour pilotes de planeur.
Pour ceux qui ne connaissent pas, ça veut dire aussi passer d’innombrables heures sur l'aérodrome à aider de ci, de là, à discuter avec des « moustachus », à participer à tout un tas de petits événements quotidiens qui font la vie d'un club.
Ça offre aussi de jolies opportunités...

Un jour de 1979, il est question de devoir faire traverser la piste, en roulant, au F-BCBQ, pour aller le stocker plus à l'abri dans les locaux de la société Stralpes'Aéro qui vient d'ouvrir. René Lamblin, le mécano aux doigts d'or, passe au moins une matinée à remettre sommairement en état le moteur.
Le grand moment arrive, c'est Michel Bouillol qui est chargé de mettre en route la bête. Démarrera ? Démarrera pas ? Ça tousse, ça hoquette, ça fume, et soudain le moteur accepte de tourner presque rond. Et au moment où il va commencer à rouler, voyant mon regard brillant et la bave qui doit me couler au coin des lèvres, il me dit de monter à bord, dans la seconde place.

Je ne me fais pas prier. Je suis bien mal installé, mais le roi n'est pas mon cousin. Je sais bien que cet avion n'a pas le droit de voler, mais sait-on jamais... ? Un roulage un peu trop rapide, une taupinière mal placée, une petite saute du vent qui voudrait bien se lever tout d'un coup, une inattention du pilote... Nous pourrions nous retrouver en l'air si rapidement, avec comme seule solution de devoir faire un petit tour de piste...

Mais, non, Michel fait ça bien. La manche à air pendouille lamentablement. Il y a bien des taupinières, mais elles n'arrivent qu'à nous faire balancer les ailes de gauche à droite.

Et comme le terrain n'est pas immense, l'aventure se termine un peu trop vite.
On arrête l’avion et je descends à regret.

Mais ce n'est pas grave, je l'aurais eu, mon petit bout de Grand Cirque, mon grand bout de petit cirque...

Décidément, voler est un jeu d’enfant !

JNV



Pour comparer, un MS315 envoyé par Cap'tain Mike, roues à rayons et béquille