samedi 13 août 2016

La chasse aux ballonnets


Il doit y avoir prescription, alors je peux vous la raconter...
C'est samedi, à Challes-les-Eaux il y a kermesse à l'école, et une des attractions est l'incontournable lâché de ballonnets. Tout le Monde sait comment ça se passe, on gonfle
des ballons de baudruche à l'hélium, et on y accroche une petite carte sur laquelle, en
échange de quelque menue monnaie, on a le droit de mettre son nom.
On lance les ballons plusieurs fois dans l'après-midi en de grandes grappes multicolores,
et la brise les emporte. Quelques heures plus tard, parfois plusieurs jours, quand le vent
aura cessé de faire voyager les baudruches, elles-mêmes à court de gaz, et que l'attraction
terrestre aura fini par gagner, ce ne seront plus que des petits tas de matière molle
accrochés à une haie, à un balcon, ou simplement vautrés dans les champs et les
vignobles. Mais sur les étiquettes, on a demandé à ceux qui trouveront les reliques
des ballons de bien vouloir renvoyer les petits cartons à l'organisateur, en précisant
où ils ont été trouvés. Au bout de quelques temps, lorsqu'on estime que suffisament
de cartes sont revenues, on déclare vainqueur celui dont le nom a été emporté le plus
loin. Et c'est lui qui remporte le jambon de pays, un beau livre de Jules Verne ou une
entrée au parc aquatique.
A Challes-les-Eaux, il n'y a pas qu'une école, il y a aussi un centre de vol à voile.
Au point de départ des planeurs, à quelques centaines de mètres de là, les pilotes n'ont
rien perdu du premier lancement d'une grappe de ballons, passant près de la chapelle
du Mont-Saint-aMichel et l'idée vient de germer dans le cerveau de Philippe ,
qui s'apprête à décoller avec Valérie, son élève fétiche, ravie du plan qu'il lui expose : « On va faire la chasse aux ballonnets ! »
Très vite en l'air, les ascendances les portent au sommet de la pente, et ils guettent
l'arrivée d'une deuxième grappe. Quand les ballons sont enfin à portée de plume,
Philippe prend les commande et fonce dans le tas. Il fait mouche du premier coup
en visant avec le nez du planeur, et un ballon est un instant bloqué à l'avant de la
verrière. Il semble comme hésiter, et pop ! Il explose et une peau dégonflée s'échappe
sur le côté et retombe à terre. Raté !
Arrive la grappe suivante. Philippe tente une nouvelle manoeuvre, essayer d'attraper
le ballon avec l'aile. Ce n'est pas évident en combinant la vitesse horizontale du planeur
et la vitesse verticale de la chose. De justesse, l'aile effleure un ballon coloré, qui
s'échappe aussitôt. C'est frustrant !
Au lancer suivant, la technique est affinée. Valérie a comme consigne de passer la main
par la petite fenêtre latérale de ventilation, sur la gauche de la verrière, et d'attraper la
ficelle d'un ballonnet. Les cibles montent vers les intrépides chasseurs, et au moment voulu, Philippe place le planeur au milieu de l'essaim multicolore. Les ballons passent un peu
trop loin, et Valérie a beau essayer de sortir tout le bras par la fenêtre, et de l'agiter
dans tous les sens, rien n'y fait. Il faut dire que la joyeuse humeur du départ, lorsque
l'objectif a été fixé, s'est vite transformé en fou-rire à bord du planeur, et que ça n'aide
pas à la concentration de nos deux braconniers.
Entre deux départs de ballonnets, il se passe bien un quart d'heure. Cela fait bientôt
une heure et demie que Valérie et Philippe sont en vol, et il va être temps de rentrer.
C'est alors qu'ils voient monter un dernier lâcher de ballons, et l'idée ultime vient de
jaillir dans la tête de nos valeureux Nemrod : Philippe a décidé d'attaquer comme un
requin, en plongeant avec de la vitesse dans le paquets de ballons de baudruche,
pour ensuite remonter parmi eux en en visant un pour qu'il passe juste à gauche du nez.
Valérie, quant à elle, a toujours comme mission de tendre la main, et d'attraper une
de ces fichues ficelles et étiquettes. Aussitôt dit, aussitôt fait. Dans une manœuvre
héroïque, le planeur tel un squale a plongé au milieu du troupeau de ses proies,
qui s'égayent de toutes parts. Le pilote cabre l'appareil, qui pointe le nez vers le ciel et
ratrappe ses cibles dans leur mouvement ascendant. Les vitesses relatives s'annulent
presque, un malheureux ballon se laisse approcher par le nez du grand prédateur.
Au moment ou le planeur s'apprête à décrocher, en perte de vitesse, la main de Valérie
s'abat, et c'est gagné, elle attrape une ficelle...
La victime se débat, et refuse de se laisser emporter. Coincé à l'estérieur de la petite
fenêtre par où Valérie a rentré le bras, le ballon se met à danser une farandole
effrénée, ponctuant son combat de sonores Polop ! Polop ! Polop ! Polop ! Polop !
Polop ! Polop ! Polop ! A bord c'est du délire, et nos courageux attaquants sont en proie à une nouvelle crise
de fou-rire, impossible de s'arrêter. En imaginant la tête des copains au sol,
ils aimeraient revenir se poser avec leur victime toujours accrochée par sa ficelle,
dansant sa danse de Saint-Guy et criant Polop ! Polop ! Polop ! Polop ! Polop ! Polop !
Polop ! Polop ! Mais c'est un coup à ne plus être assez concentré pour les manœuvres d'atterrissage,
et une petite pointe de raison vient quand même les titiller. La mort dans l'âme, ils se résignent à relâcher leur prisonnier un peu avant l'atterrissage.
Mais c'est quand même avec les yeux encore embués par ces larmes de joie qu''ils
ramènent le planeur après l'atterrissage.