mardi 9 août 2011

Treize Arbres et deux chevreuils



Acte 1 – 2010
Il faut toujours essayer de faire d’une pierre (au moins) deux coups.
Il y a un an j’étais dans la région du Faucigny pour assister à un festival, et j'ai profité de l'inactivité du dimanche matin pour partir à la recherche d'une stèle aéronautique supposée être à La Muraz, côté Est du Salève. Après de premières recherches infructueuses, en commençant à redescendre je me suis arrêté auprès d'une vieille dame. Elle m'a dit que ça lui disait quelque chose, mais dans un endroit plus éloigné appelé "Les 13 arbres" car elle avait travaillé dans le coin. Elle m'a expliqué approximativement comment y aller, et je suis remonté sur le Salève.
A part la vue magnifique qu'on a de là-haut, rien à l'horizon si ce n'est le soleil qui poudroyait et les randonneurs qui randonnoyaient.

En désespoir de cause, et quitte à faire la route de crête du Salève, j'ai décidé de redescendre par la partie nord, où passait jadis un petit train à crémaillère. Et là, à mi-descente, coup de bol, je tombe sur « Les XIII arbres », un restaurant qui faisait autrefois office de gare pour ce train. Les propriétaires n'étaient pas là, seule leur fille a essayé de m'aider, mais elle ne connaissait pas l'emplacement exact de la stèle.

J’ai donc téléphoné la semaine suivante à sa mère, qui se rappelait de l’accident d’avion qui avait eu lieu quand elle était petite. On disait alors que c’était un Mystère basé à Dijon et que le pilote avait perdu le contrôle de son appareil suite à la perte d'un bidon d'aile. Les témoignages en ce domaine sont souvent empreints d’une charmante imprécision, il s’avéra après recherches que c’était un Vampire basé à Orange. Mais de toutes manières c’est surtout le lieu exact qui m’intéressait. Elle a essayé de me décrire le chemin à faire depuis son restaurant vers la ferme de Grange-Passey, et j’ai pointé une croix bien approximative sur ma carte, en attendant d’avoir l’occasion d’y retourner.

Acte 2 – 2011
Un an après, on prend les mêmes et on recommence. Un festival à La Roche-sur-Foron, un peu de temps libre et quelques rayons de soleil sur le Salève tout proche. Comme je bivouaque dans le coin et que je suis involontairement sur pieds très tôt ce matin, je décide de m’y rendre sitôt après le petit déjeuner.
Evidemment, lorsque j’arrive au restaurant des XIII arbres tout est encore fermé et je ne vais quand même pas en réveiller les habitants tout de suite.
Alors, muni du plan sommaire de l’année dernière, je pars à pieds essayer de trouver par moi-même.

Je commence par descendre pendant un quart d’heure le chemin où passait il y a un siècle l’ancien chemin de fer à crémaillère, et dont les 13 arbres était une des gares terminus. Il est agréable de fouler ainsi ces vestiges, et de passer notamment un petit pont de pierre qui n’a pas du beaucoup bouger depuis cette époque.
Mais à la lecture de la carte, que je n’avais pas vue en trois dimensions initialement, il me semble que ça risque de prendre plus de temps que supposé. Il faudrait maintenant remonter vers la ferme de Grange-Passey. Mais comme les chances de trouver à ce moment-là la stèle seront alors assez réduites, je préfère pour l’instant rebrousser chemin, décidé à attendre que quelqu’un soit réveillé à mon camp de base.
Et la chance me sourit, la propriétaire est levée. Je me fais reconnaître, vu que nous n’avions fait qu’échanger quelques mots au téléphone. Elle prend le temps de bien me réexpliquer l’emplacement, en m’indiquant même derrière chez elle un raccourci qui mène directement à Grange-Passey à flanc de montagne sans avoir besoin de jouer au yo-yo par monts et par vaux. Elle me conseille toutefois de demander à nouveau sur place, car la stèle n’est pas facile à trouver. Elle se souvient seulement qu’en 1955 l’avion était tombé « très près de la ferme, ses habitants ayant cru qu’il s’écrasait sur eux ».
Je poursuis donc mon chemin par ce raccourci à travers champs et bosquets, et j’arrive à Grange-Passey.

Là encore, je ne croise personne.
A défaut j’essaie de traduire sur le terrain les indications de ma guide. Le paysage n’est qu’une succession de prairies et de lisières de forêts, aussi je continue vers la principale clairière qui se situe au-delà de la ferme.
Et miracle ! Dans un coin de celle-ci, en partie masqué par la végétation, je crois voir une pierre levée. En m’approchant ça se précise, c’est bien elle !
Elle est dédiée au sergent Marc Bouhiron.


C’est vrai qu’il s’appelait Marc, je l’avais oublié depuis l’année dernière.
Ce n’est pas anodin, car c’était aussi le prénom de mon père, qui nous a quittés il y a presque huit ans. Alors tant qu’à avoir une pensée pour un Marc, j’adresse intérieurement un bonjour aux deux, sans grande garantie qu’ils puissent recevoir le message où qu’ils soient maintenant. Mais sait-on jamais ? Le salut d’un aviateur à un autre pour le premier, le coucou d’un fils à son père pour le second.
Puis je rebrousse chemin.

En partant je me retourne plusieurs fois pour faire des photos d’ensemble qui puissent aider quelqu’un d’autre à trouver le lieu après moi. Quand j’arrive à l’autre extrémité de la clairière, du côté de la ferme vers laquelle il me faut revenir, et alors que je me retourne pour une dernière photo, c’est magnifique !

Deux chevreuils sont sortis du bois, et se sont mis à gambader autour de la pierre levée, à l’endroit exact où je me suis recueilli il y a quelques minutes. Tantôt ils paissent, tantôt ils semblent jouer, peut-être la parade d’un couple ? J’essaie de les prendre en photos en espérant que ça rendra quelque chose étant donnée la simplicité de mon appareil.
Le jeu dure une dizaine de minutes, et ma présence ne semble pas les importuner.

Enfin, en se tournant une dernière fois vers moi, ils bondissent dans les fourrés en poussant ce cri caractéristique des chevreuils qu’on appelle « aboiement ».
Peut-être n’était-ce qu’un message d’avertissement destiné à leurs congénères ? Attention, humains !
Mais quelque part il me plaît d’imaginer que le message m’était adressé.
Comme un au-revoir.

JNV août 2011
Pour "Marc-en-ciel"...