vendredi 1 avril 2011
Un computer bien encombrant
Au cours des années cinquante, alors que nous volions à la Eastern essentiellement sur des Convair 440, le principal mode de calcul pour les navigations était le bon vieux computer E6-B, appelé aussi « Whiz Wheel ». Le Convair-440 n'avait même pas de pilote automatique. Nous avions des VORs et ILS mais sur certaines routes nous naviguions et devions toujours faire les approches à l'ADF et même pour "s'amuser" il y avait toujours des vieux "Radio Ranges" avec les quadrants A et N avec lesquels il fallait avoir de l'oreille pour détecter la moindre variation de la route et de la finale pour les approches... J'ai eu la chance de voler avec des anciens commandants de bord qui refusaient d'utiliser les plans de vols qu'ils n'avaient pas eux-même calculés. Quand j'étais copilote sur le Convair 440 un de ces vieux de la veille utilisait principalement des cartes VFR au 1/500.000 pour naviguer... Il faisait tous ses calculs de dérive - vitesse sol - ETA - et il ne manquait jamais d'être pile sur ses points de repère... Comme on ne volait jamais trop haut sur le Convair 440 et en VFR autant que possible, il connaissait tous les petits patelins entre A et B... .Il fut pour moi un sacré exemple de se qu'on appelle « airmanship » et que de choses il m'avait apprises ! Tout allait bien jusqu’en 1963, année qui faut marquée par la coïncidence à la fois du départ d’Eddie Rickenbacker, notre fameux Président auréolé de son titre d’as de la Première Guerre Mondiale, et l’arrivée du Boeing 727 dans le parc de la compagnie. Rappelons que la conception du 727 fut le résultat d'un compromis entre United Airlines, American Airlines, et Eastern Airlines sur la configuration du successeur du Boeing 707. Les logs de navigation furent pour la première fois imprimés via un ordinateur, appareil colossal à l’époque mais dont les performances rapportées à ce que l’on connaît maintenant paraîtraient bien modestes. Cela parut plus simple au départ mais les anciens avaient un mal de chien à comprendre pourquoi il était nécessaire d'appliquer la Vitesse Vraie Effective pour résoudre le triangle des vitesse correctement alors qu'avec les vieux E6-B c'était si facile... En réalité, quand nous avons commencé à utiliser ces plans de vols fait par ordinateur, cette correction avait été omise et en conséquence les vitesses sol étaient faussées, ainsi bien entendu que les calculs de consommation de carburant et d’ETA (heure estimée d’arrivée). On décida donc de ressortir les bons vieux computers E6-B des placards. Mais si ces derniers étaient tout à fait convenables pour les altitudes et vitesses qui étaient celles du Convair 440, ce fut une autre paire de manches quand il s’est agi de passer à la vitesse, et à l’altitude, supérieures, avec notamment tous les nouveaux calculs basés sur le nombre de Mach. On se tourna donc vers la société Jeppesen pour lui demander de réaliser un successeur à l’E6-B qui puisse intégrer toutes les nouvelles fonctions à prendre en compte. Le résultat dépassa, c’est le cas de le dire, toutes nos exigences. Le computer CR-Wind-Mill qui nous fut envoyé pour expérimentation répondait, certes, au cahier des charges de la compagnie. Mais c’était uniquement parce que personne n’avait songé à préciser que la taille de l’appareil ne devait pas trop augmenter. Les dimensions de l’engin étaient de 32x24 pouces, presque la moitié de la taille du tableau de bord principal ! Il va sans dire que la campagne d’essais ne dura que deux semaines. Nous redoutions à chaque escale de croiser le chemin des collègues des autres compagnies, car il était impossible de passer inaperçu avec ce computer dépassant d’une sacoche de vol. Mais ce fut finalement la sécurité des vols qui prévalût, arguant que la visibilité en poste, ainsi que l’aisance d’accès aux commandes de vol, pouvaient être compromises par cet encombrant passager supplémentaire ! Captain A.Wesome (extrait de "We flew Eastern" ©2011 Pescare editionnes)