dimanche 18 avril 2010

L'Aviation Populaire à Challes

La France en 1936, c’est le Front Populaire
Pierre Cot ministre de l’Air, décide la création de l’aviation populaire.
A Chambéry/Challes, la section est mise sur pieds en 1937.
Tous les jeunes, ceux qui veulent, peuvent adhérer. Coût : 10F par mois, visite médicale gratuite. Pas de carte, simplement de l’huile Vaseline pour graisser le pédalier du vélo afin d’être au terrain à l’heure.
Le terrain, une entrée au même endroit qu’actuellement.














Le hangar d’origine côté Challes, et son entrée en travers. Une petite loge toute neuve à l’entrée avec un bureau et un logement.Un gardien, M.Chabert, paysan reconverti à une profession encore mal définie, aviation civile, ponts et chaussées, on ne sait pas. On l’a découvert lorsqu’un avion « étranger » s’est posé un jour. On a alors eu la surprise de le voir sortir de sa loge avec un képi imposant et aller à la rencontre du nouvel arrivant, fort surpris d’être accueilli par un administratif. Cela a semblé bien dérisoire à tous ces jeunes en liberté.

Le double hangar à gauche de l’entrée est donc construit pour les besoins futurs de la section d’aviation populaire (SAP) chère à notre député, ministre de l’Air, Pierre Cot. Pour le fonctionnement, P.Cot recrute pour Challes un pilote remarquable, M.Halotier.
M.Halotier avait été pilote d’essai, et convoyeur d’avions pour les républicains espagnols au moment de la guerre d’Espagne.

Début 37, la SAP est dotée de deux Caudron Luciole biplans. Ailes hautes et basses, mâts et haubans. Moteur Caudron-Renault 100cv, pistons inversés, train Messier, béquille.
Les jeunes arrivent en troupes serrées. Halotier devient barbare, sa sélection est forcément draconienne.
Elle est simple, il essaye et ne retient que ceux qui lui semblent avoir de très bonnes qualités.
Les oubliés sont en bord de piste à regarder et à attendre. Beaucoup se sont lassés, d’autres plus patients ont fini par voler.
L’instruction. Il est difficile pour un pilote excellent, qui gouverne par réflexes plutôt que par logique, de donner un cours de pilotage.
On accède aux postes de pilotage en montant sur le plan inférieur droit du Luciole.
Le pilote instructeur est à l’avant. L’élève prend ses ordres en passant, avant de s’installer derrière.
L’initiation pour Halotier est simple.
« Vous avez devant, aux pieds, un palonnier.
Vous poussez à droite pour tourner à droite.
Vous poussez à gauche pour tourner à gauche.
En main, vous avez un manche.
Vous poussez en avant, vous piquez.
Vous tirez en arrière, vous cabrez.
Vous poussez à droite, vous penchez à droite.
Vous poussez à gauche, vous penchez à gauche.
Je vous lâche à 200m, surveillez l’altimètre.
Vous fixez un point à l’horizon, vous ne quittez pas ce point.
En route. »
Le fainéant réussit très bien, parce qu’il ne touche à rien, ou très peu.
Le curieux commence par le manche. Un coup en avant, les toits rouges des maisons apparaissent. Un coup en arrière, l’horizon passe sans être vu, et c’est le grand bleu.
Retour au terrain illico. 15 jours au vert.

J’ai mis longtemps à sortir de l’épreuve des virages. Interdiction de virer à moins de 60°.
A 45° Halotier vous renvoyait dans les jupes de votre mère (sic).
Le Luciole était un avion remarquable, pardonnant toutes les fautes, mais très réactif. Il fallait sentir l’avion et prévenir ses réactions. Lorsqu’on s’était un peu marié avec lui, c’était un pilotage très agréable, et on pouvait passer à l’oiseau qui réussit tout.
Halotier était notre Dieu, mais, lorsqu‘un élève avait mal piloté, il lui faisait peur, montagnes russes, Immelmanns, glissades impressionnantes, atterrissage en virage.
Par exemple, passage à 2m devant le double hangar (notion de virage amorcé devant le hangar 1, bout de l’aile à 1m du sol pendant tout le virage et atterrissage devant le double hangar.
J’ai vu souvent cette manœuvre, faite toujours de la même façon.
Autre chose qui nous passionnait chez Halotier, son atterrissage particulier.
Arrivée à 200m sur la balise du marais (actuellement route transversale médiane, le marais n’existe à peu près plus actuellement).
A 200m, manche à gauche, coup de pied à droite, glissade en tournant 270° (hôtel du Château)
Manche à droite, coup de pied à gauche pour 270° pour se retrouver avec de l’habitude à 2m du sol sur la balise, badin à 95 (km/h).
Les démonstrations d’Halotier étaient magnifiques. De quoi, penseriez-vous, nous inspirer, nous les jeunes nouveaux fous sans expérience.
Nous étions donc sous surveillance et en interdiction de déroger.
Seul, Maliverney, premier breveté, pouvait ouvertement se payer quelques bugnes (comme nous le disions à l’époque). Les autres, c’était 8 jours ou 15 jours au vert.

J’ai patiné pendant les virages. 60° ne m’effrayaient pas, au contraire. Halotier m’avait dit :
« Mettez du pied, un peu, et du manche, surveillez votre horizon et l’alti ».
Moi, je faisais bien tout cela, mais après 90° de rotation ça se gâtait, le moteur s’emballait et j’étais obligé de reprendre le vol normal.
La sanction en vol était simple. Un coup de matraque (sandow double ébouté avec un bout de chiffon en tête). Etant devant, il ne se retournait pas et manœuvrait comme au golf. Heureusement, on avait le casque…

Un coup sanction et retour au terrain. « Qu’est-ce qui t’arrive ? »
Les copains plus expérimentés me disaient : « Ne mets pas de pied, surveille l’alti et les trs/mn et corrige avec pied contraire ! »
Aussi, sans Halotier, je suis sorti de mon embarras.
En juin, après avoir comme tous traîné la béquille avant de poser les roues ou posé les roues béquille haute, un beau jour où j’étais très reposé, je fais un sans faute, cinq atterrissages trois-points plaf, plaf, plaf.
Je pensais, on va en refaire quelques uns demain, pour voir. Mais non, Halotier, toujours en blanc, très remarquable comme à l’habitude, se lève et me dit : « Cinq atterrissages à la suite ».
Je reste là très décontenancé en le voyant s’éloigner à pieds en direction du hangar.
Je mets les gaz, je roule, décolle, j’ai un peu peur, je suis seul, je suis jeune, je reprends le dessus, je me mets à chanter, à pleins poumons, et je fais mes cinq atterrissages…

Témoignage de Monsieur Louis Piaguet, recueilli en 2004