Nous sommes dans les années soixante. Le jeune Pierre Pellier est en stage instructeur planeur au centre national de formation aéronautique de La Montagne Noire. Quand on vient à « la montagne », on n’est pas là pour rigoler. En tous cas officiellement. Les moniteurs sont pour la plupart d’anciens militaires, et la discipline qui y règne ferait la force de plus d’une armée. Il faut dire que le centre est dirigé d’une main de fer par Hubert de Lassageas, appelé localement « L’esclavagiste ».
Outre la rigueur qu’on leur demande dans la façon d’apprendre les cours et de restituer les leçons, les stagiaires sont astreints par roulement à tout un tas de corvées. Tôt le matin, par exemple, un des élèves est chargé de rejoindre un moniteur, lui aussi de service, pour ouvrir un hangar et sortir un des avions de servitude. Il faut en effet tous les matins effectuer un sondage de la masse d’air.
La connaissance des caractéristiques de l’air qui nous surplombe permet d’en déduire, pour une journée donnée ce que l’on est en droit d’attendre des ascendances, leur force, leur plafond, c’est-à-dire à quelle hauteur elles vont s’élever, et si elles seront ou non matérialisées par des petits cumulus à leur sommets. La prévision de ces ascendances est capitale pour les pilotes de planeurs.
Pour cela il faut mesurer à l’aide d’un appareil enregistreur qui porte le doux nom technico-poétique de « psychromètre à cheveu » la température et l’humidité qui règnent en différents points de l’atmosphère lorsqu’on s’élève.
Un stagiaire est donc chargé au préalable d’aller préparer cet instrument barbare et d’en vérifier l’encrage des pointes traceuses. Pendant ce temps, le moniteur préposé au pilotage de l’avion-étalon s’occupe de préchauffer le moteur de son appareil en attendant le moment du décollage. Puis on place le psychromètre dans l’avion et on lui fait effectuer son petit baptême de l’air quotidien. Ensuite, après l’atterrissage, on le ramène au bureau météo pour dépouillement des résultats.
Les avions remorqueurs, qui servent à cette tâche, sont de vénérables Morane-Saulnier dérivés du Fieseler Storch, appareil d’observation allemand de la seconde guerre mondiale. Ils en ont hérité non seulement du nom, même si ce devrait être à tort pour cette version française, mais aussi d’une allure générale tirant plus sur la grande sauterelle que sur la cigogne à laquelle on pense en traduisant ce nom. Ou alors une cigogne aux grandes ailes emmanchée des grandes pattes de son train d’atterrissage.
Mais revenons à nos gaillards. Il est 5 heures du matin. Ils sortent donc l’avion et le mettent en place, calent les roues et le moniteur Passérieux démarre le moteur de l’avion. Louis Passérieux est un gars du Sud-Ouest, et quand il parle, on entend rouler dans son accent tous les galets des torrents de l’Ariège et de la Haute-Garonne. Comme souvent lorsque les noms de famille ont été distribués autrefois, si certains étaient de vrais qualificatifs, d’autres l’ont été souvent par dérision : Si monsieur Meunier devait effectivement exercer cette profession, le dénommé Gros était en fait filiforme et celui qu’on appelait Legrand était haut comme trois pommes. C’est sûrement ce qui avait du se passer pour ses ancêtres car Passérieux est vraiment du genre que l’on respecte et avec qui on n’a pas forcément envie de plaisanter. C’est en tous cas ainsi qu’il apparaît aux élèves du centre.
Le stagiaire Pellier, commis d’office ce matin-là à la préparation du psychromètre se rend pour cela au bureau météo. En passant, il voit le pilote descendre de son poste, moteur toujours tournant, et se diriger vers la cantine pour aller s’y réchauffer en buvant un café. C’est une chose qui se fait volontiers, par ces petits matins frisquets, mais en principe avant ou après le vol. Seulement ce matin il y a du y avoir un peu de retard à l’allumage du côté des cuistots, et la cantine vient juste d’ouvrir ses portes.
Poliment, comme il sied à un élève-instructeur de s’adresser à un moniteur, surtout quand on est à deux doigts du crime de lèse-majesté, Pierre lui demande :
« Dites, M.Passérieux, vous n’avez pas peur que l’avion n’avance seul, malgré les cales ? »
Goguenard, Passérieux lui répond avec son accent rocailleux :
« Monsieur Pellier ! Vous avez déjà vu un Storch passer les cales, vous ? »
Plus ou moins rassuré, Pierre se rend donc au bâtiment météo. Alors qu’il est occupé à la préparation du psychromètre on entend un grand bruit annonciateur de catastrophe.
Le Storch avait passé ses cales et était allé s’encastrer dans le bureau de De Lassageas…
En aviation, si pas sérieux s’abstenir.
Outre la rigueur qu’on leur demande dans la façon d’apprendre les cours et de restituer les leçons, les stagiaires sont astreints par roulement à tout un tas de corvées. Tôt le matin, par exemple, un des élèves est chargé de rejoindre un moniteur, lui aussi de service, pour ouvrir un hangar et sortir un des avions de servitude. Il faut en effet tous les matins effectuer un sondage de la masse d’air.
La connaissance des caractéristiques de l’air qui nous surplombe permet d’en déduire, pour une journée donnée ce que l’on est en droit d’attendre des ascendances, leur force, leur plafond, c’est-à-dire à quelle hauteur elles vont s’élever, et si elles seront ou non matérialisées par des petits cumulus à leur sommets. La prévision de ces ascendances est capitale pour les pilotes de planeurs.
Pour cela il faut mesurer à l’aide d’un appareil enregistreur qui porte le doux nom technico-poétique de « psychromètre à cheveu » la température et l’humidité qui règnent en différents points de l’atmosphère lorsqu’on s’élève.
Un stagiaire est donc chargé au préalable d’aller préparer cet instrument barbare et d’en vérifier l’encrage des pointes traceuses. Pendant ce temps, le moniteur préposé au pilotage de l’avion-étalon s’occupe de préchauffer le moteur de son appareil en attendant le moment du décollage. Puis on place le psychromètre dans l’avion et on lui fait effectuer son petit baptême de l’air quotidien. Ensuite, après l’atterrissage, on le ramène au bureau météo pour dépouillement des résultats.
Les avions remorqueurs, qui servent à cette tâche, sont de vénérables Morane-Saulnier dérivés du Fieseler Storch, appareil d’observation allemand de la seconde guerre mondiale. Ils en ont hérité non seulement du nom, même si ce devrait être à tort pour cette version française, mais aussi d’une allure générale tirant plus sur la grande sauterelle que sur la cigogne à laquelle on pense en traduisant ce nom. Ou alors une cigogne aux grandes ailes emmanchée des grandes pattes de son train d’atterrissage.
Mais revenons à nos gaillards. Il est 5 heures du matin. Ils sortent donc l’avion et le mettent en place, calent les roues et le moniteur Passérieux démarre le moteur de l’avion. Louis Passérieux est un gars du Sud-Ouest, et quand il parle, on entend rouler dans son accent tous les galets des torrents de l’Ariège et de la Haute-Garonne. Comme souvent lorsque les noms de famille ont été distribués autrefois, si certains étaient de vrais qualificatifs, d’autres l’ont été souvent par dérision : Si monsieur Meunier devait effectivement exercer cette profession, le dénommé Gros était en fait filiforme et celui qu’on appelait Legrand était haut comme trois pommes. C’est sûrement ce qui avait du se passer pour ses ancêtres car Passérieux est vraiment du genre que l’on respecte et avec qui on n’a pas forcément envie de plaisanter. C’est en tous cas ainsi qu’il apparaît aux élèves du centre.
Le stagiaire Pellier, commis d’office ce matin-là à la préparation du psychromètre se rend pour cela au bureau météo. En passant, il voit le pilote descendre de son poste, moteur toujours tournant, et se diriger vers la cantine pour aller s’y réchauffer en buvant un café. C’est une chose qui se fait volontiers, par ces petits matins frisquets, mais en principe avant ou après le vol. Seulement ce matin il y a du y avoir un peu de retard à l’allumage du côté des cuistots, et la cantine vient juste d’ouvrir ses portes.
Poliment, comme il sied à un élève-instructeur de s’adresser à un moniteur, surtout quand on est à deux doigts du crime de lèse-majesté, Pierre lui demande :
« Dites, M.Passérieux, vous n’avez pas peur que l’avion n’avance seul, malgré les cales ? »
Goguenard, Passérieux lui répond avec son accent rocailleux :
« Monsieur Pellier ! Vous avez déjà vu un Storch passer les cales, vous ? »
Plus ou moins rassuré, Pierre se rend donc au bâtiment météo. Alors qu’il est occupé à la préparation du psychromètre on entend un grand bruit annonciateur de catastrophe.
Le Storch avait passé ses cales et était allé s’encastrer dans le bureau de De Lassageas…
En aviation, si pas sérieux s’abstenir.