Quand nous sommes venus habiter ici il y a quinze ans, il était le doyen des alentours, un vieux poirier blanchi (de lichens) sous le harnais.
Pas de ces poiriers de salon que l’on cajole en espalier. Non, un poirier géant, aussi haut que la maison, à imposer le respect aux haricots de Jacques.
Il donnait plein de petites poires à l’allure peu encourageante, piquées des vers et tâchées par la pluie. Des poires qui, comme Hélène de la chanson de Brassens, ne demandaient qu’à être découvertes et appréciées, et dont les bouts encore présentables étaient délicieux (ceux des fruits, pas de la belle Hélène…) préparés au vin ou en crumble. C’était un secret réservé à ceux qui ne s’étaient pas moqués de sa poire.
Et l’hiver, dépourvu de ses attraits, il nous laissait cueillir le gui qui en ornait ses ramures les plus hautes pour en exposer une branche-à-baisers-du-nouvel-an dans la maison.
Il était du bois dont on fait les héros. J’avais essayé une fois ou deux de couper quelque branche dévitalisée, en ayant à chaque fois l’impression d’essayer d’entailler du marbre avec la tronçonneuse. Il ne voulait pas se laisser faire et refusait qu’on l’amputât. Et ça ne s'arrangeait pas avec l'âge: comment lui faire entendre raison alors qu'il devenait de plus en plus dur de la feuille ?
Les étés ont passé, sa fertilité aussi certainement car petit à petit il n’a plus porté de fruits. On voyait bien qu’il n’y avait plus d’ex-poires.
Les hivers ont passé, le gui était toujours là, si joli poison pour la sève de ses victimes qu’il décore et dévore en même temps.
Mais les deux dernières années, même ces grosses boules vertes et blanches sont à peine venues orner notre arbre à Noël. Ce n’était pas bon signe, et on craignait qu’il ne passe l’hiver.
Et voilà, c’est fait. Il nous a quittés avec la fin de cette année.
On avait encore fêté au gui l’an neuf, il n’y en aura plus pour l’an dix.
Les dernières pluies, certes diluviennes, ont fait tomber une énorme branche, et en imaginant que cela aurait pu être sur la tête d’humains, les nôtres en l’occurrence, il a fallu se résoudre à l’euthanasier.
Oh, il n’a pas fallu grand-chose, une corde lancée dans ses branches, une petite traction et les derniers jours de 2009 ont passé l’arbre à gauche.
Mais allongé au sol, tel le chêne d’Anouilh, il semblait narguer tous les roseaux qui se seraient alors contentés de plier la tête. On ne se refait pas !
Salut, vieille branche, tu méritais bien qu’on te consacre une feuille ou deux !
JNV, 31 décembre 2009
(pour le titre, c'est bien entendu un clin d'oeil à http://video.muzika.fr/clip/11105 )