mardi 12 mai 2009

Jacques Aniel, un monde à part...


Photo: René Branciard, Jean Delparte et Jacques Aniel
En 1951, avec deux autres nouvelles recrues, arrive à Challes un nouveau moniteur, Jacques Aniel, qui était auparavant à Roanne. Le centre national a besoin de sang neuf car il vient de commencer à enseigner le vol moteur avec des Stampe venus de Chateauroux. Il s’agit d'assurer la formation initiale des élèves-pilotes militaires, pour le compte de l'Armée de l'Air. Après leur séjour à Challes, les élèves qui ont réussi à voler en solo en moins de 12 heures de vol partent achever leur formation en Amérique du Nord. Les stages sont de 25 heures pour les élèves qui vont être formés aux Etats-Unis, et de 15 heures pour ceux qui vont partir au Canada.
Jacques Aniel se distingue de ses collègues par son anticonformisme et son côté rebelle. C’est un personnage haut en couleurs : Moniteur le jour, il tient le soir un bistrot dans Challes et exerce à l’occasion ses talents de guérisseur.
En mars 1953, le vol à voile est à nouveau enseigné à Challes parallèlement au vol moteur, et les moniteurs peuvent se remettre au planeur.
Et Aniel se fait toujours remarquer…
Lors d’une formation de pilotes remorqueurs, un des chefs-pilotes chargé de les instruire leur fait en piste une grande diatribe, leur expliquant que le pilote remorqueur ne doit pas voler pour lui mais aussi pour le planeur qu’il remorque, qu’il doit en permanence avoir les yeux posés sur le rétroviseur pour voir ce qui se passe derrière, etc. Jacques écoute avec les élèves. Puis, passant de la théorie à la pratique, le chef-pilote démarre le Storch et s’aligne devant le premier planeur, celui dans lequel ont pris place Aniel et son élève.
Le planeur est le PM 200, version française du Goevier allemand, appareil reconnaissable entre mille car c’est le seul biplace côte-à-côte à aile basse, et il n’y en a qu’un seul de ce type dans le centre. Les verrières se ferment, le câble est tendu et Aniel fait lever l’aile, signe que le planeur est prêt à décoller. Mais au moment où le Storch met les gaz, Aniel largue le câble. Le remorqueur, comme à la parade, décolle avec son câble ballant, fait au bout du terrain un virage standard qui l’amène vers le Mont Saint Michel qui surplombe l’aérodrome, continue sa montée. Arrivé au niveau de la chapelle le pilote bat des ailes, signal conventionnel pour intimer au planeur l’ordre de se larguer, et entame sa descente accélérée. Il se pose, roule vers le point de départ des planeurs. A ce moment le pilote voit le PM 200 aligné ; il ouvre sa verrière et appelle Jacques Aniel « Comment ? Tu es déjà là… ? »
Du coup ses élèves l’adorent mais ses plus beaux conflits avec l’autorité auront lieu avec l’arrivée en 1956 comme chef de centre de Jean Gourbeyre, son exact opposé.
Gourbeyre édite à plusieurs reprises des notes de service pour freiner l’ardeur des jeunes gens en stage : il fait mettre le papier toilette sous clé, fixer les lits au sol des chambres… Sa dernière note concerne l’emploi des voitures de piste, dont il formule la restriction de l’utilisation, excédé de voir Aniel se balader avec, une grappe de stagiaires accrochés de toutes part sur le véhicule, quand…
Aniel décolle avec un élève pour un vol sur Stampe. Comme à l’habitude sur cet appareil, l’élève est en place arrière et le moniteur en place avant. A une vingtaine de km au sud de l’aérodrome il aperçoit à Chapareillan un cirque qui vient de s’installer. « Venez, on va leur montrer ce que c’est que le cirque… » Ils commencent par quelques passages bas. Puis, prenant un peu d’altitude, il annonce rapidement le traditionnel "Sangles vérifiées, nous sommes prêts...". Sans attendre confirmation de son élève qui dessangle son harnais pour mieux le resserrer, Aniel fait un tonneau. Il se prépare à en faire un second en vérifiant, par acquis de conscience derrière lui, et... plus personne ! En se penchant, Aniel aperçois la coupole d’un parachute posé au sol, en train de se replier.Il retourne immédiatement se poser à Challes, fonce vers le bureau du chef de centre et lui dit « Vite, vite, il me faut une voiture… » Réponse de Gourbeyre : « Je vous rappelle que j’ai interdit la semaine dernière l’utilisation des voitures de services pour des tâches qui ne sont pas les leurs ! »Et Aniel de répondre « Mais je viens de perdre mon élève… »
Les secours trouveront ce dernier en train d’attendre tranquillement au bord de la route.
Le 1er octobre 1957 Jacques Aniel est nommé à St Auban sur Durance.La encore il fait le régal de ses élèves, parfois au détriment de sa hierarchie.
Le 14 mars 1966 il vole avec un élève sur un des Breguet 904 équipé de postes de radio.Alors qu’ils survolent les environs de l’aérodrome de Sisteron-Vaumeuilh leur planeur commence à partir en flutter, phénomène d’auto-vibrations aéro-élastiques pouvant entraîner la destruction de l’appareil. Aniel annonce leurs ennuis à la radio. Ses collègues lui disent de sauter, mais il leur répond que son élève ne parvient pas à s’extraire du fuselage, et qu’il ne peut pas le laisser comme cela. Désemparé, le Breguet 904 percute les collines voisines, tuant ses deux pilotes. Jusqu’au bout Jacques Aniel aura commenté le drame à la radio.Son nom a été donné à un hangar à St Auban. Passant, rappelle-toi…