mercredi 25 mars 2009

Challes dans le journal "Les ailes", 1945

Je passe à Challes-les-Eaux et j’en profite pour voir le terrain et ceux qui l’occupent. Excellent accueil… Naturellement, je ne souffle pas un mot des « Ailes », journal libre et donc, comme chacun sait, journal subversif. Il y a, sur ce terrain, une équipe magnifique, gonflée à bloc : Lacasse, le chef du Centre ; Guyard, le chef-pilote ; Chabal, Diard, Branciard et, le dernier venu, Notteghem, tous moniteurs. Ajoutons-y les trois moniteurs-élèves : Voisin, Labattut et Presl.

Le deuxième stage est en cours ; commencé le 1er juillet, il prendra fin le 12 septembre. Il compte trente stagiaires dont deux femmes : Mlle Renaud et l’excellente aviatrice qu’est Régina Wincza. En deux mois, on a fait du bon travail : 730 heures de vol, 12 brevets B, 16 brevets C, 13 épreuves comptant pour le brevet D, soit 13 de durée, 11 d’altitude et 3 de distance. Trois brevets D ont été décrochés par Labattut, Presl et Gabelier.

Gabelier, en particulier, est un type formidable. Ce n’est d’ailleurs pas un inconnu pour les lecteurs des « Ailes ». Mécanicien-garagiste à Marseille, animateur, bien avant la guerre, de la section d’Aviation sans moteur de l’Aéro-Club de Provence, « mordu » à 100%, il a lui-même construit son planeur : C’est une machine magnifique, qui a exigé 2000 heures de travail et qui ressemble à l’Avia 40P mais avec des ailes basses et dotée d’un coefficient de sécurité très élevé. Ne trouvant pas d’ascendances favorables dans les environs de Marseille, Gabelier a amené, un beau jour, son planeur à Challes où il fit, dans la ville, une entrée sensationnelle : il l’avait mis dans une impressionante caisse-remorque tirée par sa voiture à gazogène et c’est dans cet équipage qu’il débarqua au terrain. Comme de juste, Gabelier dut obtenir l’autorisation du Service des Sports Aériens avant d’accomplir ses essais au centre national ; les Sports Aériens la lui accordèrent et n’eurent pas lieu de le regretter : dans la première semaine, Gabelier totalisa simplement 14 heures de vol et la semaine suivante il passa les épreuves du brevet D ! Ca promet… Dommage que les malheureux clients du mécanicien-garagiste le réclament impérieusement à Marseille et qu’il lui faudra se décider à rompre le charme de Challes-les-Eaux.

« J’aurais tout de même bien voulu, avant de repartir, « tâter » le Mt Blanc » m’a confié Gabelier…
Le centre reçoit des visites. Preuve, la mienne…Mais il en reçoit de plus officielles, telle celle de M.Maranne, fils du Président du Conseil Général de la Seine, attaché lui-même au cabinet du Ministre de l’Air ; il est venu à Challes à bord d’un avion du ministère, et a profité de son séjour là-bas pour passer les épreuves de durée et d’altitude du brevet D. M.Cabot, autre personnalité des Sports Aériens, a obtenu en quelques jours son brevet C. Charles Fauvel compte parmi les habitués du terrain de Challes où il se propose de procéder bientôt aux essais de son « aile volante », version planeur, en cours d’achèvement à Valence.

« On vole intensément ici » m’a dit un des dirigeants du centre. Les chiffres qu’on vous a communiqués tout à l’heure en témoignent. Voyez Tournon, en particulier, il s’entraîne régulièrement et son dynamisme est un magnifique exemple pour les jeunes. L’Aéro-Club de Savoie bénéficie de cette atmosphère ; depuis juillet, ses propres élèves ont totalisé 36 heures de vol ; ils ont réussi à décrocher 3 brevets B et 2 brevets C. Tessier et Gervais, tous deux de l’Aé-C-S, ont accompli, sur le vénérable XVA, des vols de plus d’une heure.

« C’est que, voyez-vous, les possibilités de ce terrain sont vraiment très grandes. Que le vent souffle du Sud, de l’Ouest ou du Nord, il « arrive » sur la pente. Avec des vents de seulement 4m/s, les vieux XV-A eux-mêmes, lancés au treuil, « accrochent » et tiennent l’air des heures. Le soir, notre longue vallée est riche en « restitution » et il faut vraiment que la nuit tombe pour que l’on se décide à rentrer. Il est fréquent que l’on accomplisse ici des balades de10 à 20 km, avec des altitudes de 2000 et 2500 mètres. »

En résumé, je remporte de mon rapide passage à Challes-les-Eaux une impression excellente et le désir d’y retourner pour un séjour moins bref. J’en remporte une autre impression : c’est que le centre aurait déjà été le théâtre de performances retentissantes si le matériel ne lui avait point manqué. Mais à ce point de vue, la situation paraît devoir s’améliorer bientôt : des planeurs de performance, ramenés d’Allemagne, sont déjà parvenus à Challes, et seront utilisés dès qu’ils auront été remis en état ; ils ont besoin, en effet, d’une révision assez sérieuse. D’autre part, bien qu’on ne m’en ait pas parlé, j’ai cru discerner qu’on regrettait, là-bas aussi, l’absence de tout service météorologique : c’est peut-être ce service qu’on devrait commencer à installer, en premier lieu, sur tout terrain de vol à voile.

Enfin, il y aurait encore lieu d’insister sur l’erreur que l’on commet en envoyant à Challes des débutants que, trop souvent, aucun titre aéronautique ne désigne pour un tel stage alors que ce centre devrait être essentiellement consacré au perfectionnement. Mais c’est là une question qui dépasse le compte-rendu d’une simple visite et qui fera l’objet d’une autre note.


E.Chambry
Journal « Les Ailes » du 1er septembre 1945

Publié dans le magazine "Albert" en 2004