mardi 15 janvier 2013

Une qualification remorquage…économique

J’ai failli écrire « au rabais », mais cette expression a une connotation péjorative.
Je veux parler d’économie quantitative, en heures de vol et donc en coût, et non pas bien sûr qualitative.
Ou en tous cas j’espère que non…

Nous sommes en 1982, et je suis étudiant, ne roulant pas vraiment sur l’or.
J’ai quand même réussi à me faire lâcher sur Jodel 112 aux Amis du CLAP, et y faire une vingtaine d’heures de vol.
Arrivé à Toulouse, je continue ma formation au brevet de pilote à l’Aéro-Club de l’ENAC.

En tant qu’élève « titulaire » (comprendre non-fonctionnaire), j’ai une aide de l’école qui ne me fait payer qu’un quart du prix de l’heure jusqu’à l’obtention du brevet, ou jusqu’à concurrence de 50 heures. Du coup, bien que je sois relâché assez vite sur DR400, nous avons convenu avec le chef-pilote que l’idéal serait que je passe mon brevet à l’épuisement de ces 50 heures. Du coup, outre les navigations solo de rigueur, je fais des heures « de remplissage », par exemple du RF3 sur les Pyrénées. Egalement nous montons sur pieds le week-end des navigations Toulouse-Challes avec un instructeur intéressé par le déplacement et deux élèves de l’école en place arrière. Les instructeurs sont des stagiaires à l’ENAC qui cherchent aussi à rejoindre les Alpes du Nord. Du coup chacun paie sa place, y compris les moniteurs, un quart de un quart du prix normal de l’heure de vol, ça fait moins cher que le train. On le fait une fois avec Bernard Fanton, électronicien à Grenoble-St-Geoirs, une autre avec Germanaz, contrôleur aérien je crois, originaire de Maurienne.
Arrivé aux 50 heures (et donc au total à 70h avec celles de Jo-Jo), je passe comme prévu mon brevet de pilote privé.

Le but suivant, passer la qualification de remorqueur de planeurs.
A cette époque il y a différents minima d’expérience pour cela.
Comme j’ai aussi plus de 500h de planeur, je peux accéder au plus petit de ces niveaux, qui demande 70 heures d’avion.
D’où le calcul fait plus haut, j’avais cette idée derrière la tête.

C’est ainsi que un mois et demi après le passage de mon brevet, et sans avoir revolé entre temps, je me retrouve dans un train à destination de Château-Arnoux/Saint-Auban, le passage en centre national étant en ces années le seul moyen de passer cette qualification. Après quelques heures dans le "train des pignes", cet autorail "Picasso" jaune et rouge qui serpente dans toutes les Alpes du Sud pour aller de Grenoble à Nice par l'arrière-pays, je débarque à la gare de Chateau-Arnoux, monte à pied à l'aérodrome où l'on m'installe dans une chambre en attendant le briefing, le lendemain.
Heureuse surprise, je connais très bien ma monitrice à St-Auban, Christine Debouzy, car elle a volé à Challes. C’est une élève pilote de ligne qui, en attente de recrutement à Air France, travaille au centre national pour meubler le temps et faire des heures de vol. Moins bonne surprise, mais je m’y attendais un peu, l’appareil sur lequel nous allons voler est un Rallye 235GT, gros moteur et pas variable, ce qui va me changer des plus petits coucous d’aéro-club utilisés jusqu’ici. Il va falloir prendre en main ce truc, en plus que d’apprendre à remorquer…

La formation se passe bien, avec même un jour le décollage d’un Janus facétieux qui, alors qu’on est à deux-trois mètres du sol, sors les aéro-freins juste quand on passe le bord du plateau... Je mets cela sur le compte d’un exercice pour voir si je procède bien aux signaux conventionnels. Après débriefing, le soir, nous apprendrons que c’était simplement une erreur, le pilote ayant voulu passer les volets du Janus de «négatif » en « premier cran positif », il s’est gouré de manette et a tiré sur les AF !
Finalement, c’est une bonne barcasse que ce gros Rallye qui accepte avec deux personnes à bord de décoller un Janus volets négatifs et aéro-freins sortis…

Au bout de plusieurs jours de formation, arrive le test final. J’apprends que je vole avec Fabre.
C’est un de ces vieux moniteurs de centre nationaux, arrivés à un poste de chef-pilote adjoint, dont la principale fonction est justement de procéder aux tests. Caractère bourru, pas du genre à rigoler ou même à sourire, et rien que l’idée de voler avec lui me fait froid dans le dos…
Je ne suis donc pas bien à l’aise quand je m’installe dans l’avion, et qu’il se brêle à ma droite.
Et là il demande le truc qui tue « Donnez-moi votre carnet de vol ! »
Qui tue parce que je l’ai bêtement oublié dans ma chambre, de l’autre côté de l’aérodrome.
Très confus, je le lui explique. Il me répond « Vous n’avez qu’à aller le chercher »
Re-très confus, je lui explique que ça va prendre du temps car je ne suis pas motorisé, étant venu en train (je dois bien être le seul).
Alors, fouillant dans sa poche, il sort son trousseau de clefs, me le tend et me dit « Bon, vous n’avez qu’à prendre ma voiture ».
Du coup, après un rapide aller-retour vers le bâtiment d’hébergement, je reviens complètement décomplexé par cette marque de gentillesse bien surprenante. Et le test se passe bien.

Merci à Christine pour sa formation, et à Monsieur Fabre pour avoir réussi à me clamer et me rassurer.
Je découvrirai par la suite, en fouillant les archives du terrain de Challes où justement Pierre Fabre avait été en poste auparavant, qu’il était l’un des descendants de Henri Fabre, l’inventeur de l’hydravion.